Pas de risque pour moi . Bon, même si il y a des désaccords, il y a de l’amitié et du respect et sans doute le même projet politique, plus de communs, moins d’enclosures ! J’ai tendance à croire que l’espace de la fabrique à communs pourrait bientôt adopter une gouvernance partagée et ouverte. Et si c’est pas le cas, peut-être refaire un travail sur son positionnement et la stratégie visée, et vérifier qu’une majorité de « commoneurs » dans les tiers-lieux acceptent ce positionnement.
Ce qui se joue, qui crée autant de tensions depuis 4 ans, et qui mérite que l’on s’attarde sur ce sujet, c’est à mon sens l’incompréhension vis à vis de stratégies déployées par les uns et les autres, pourtant à la base alliés pour faire avancer notre cause (ici la cause est les communs, en gros tout ce qui peut être partagé entre tiers lieux pour avancer plus vite, plateformes, connaissances, données, réseaux, communautés, foncières, juridique… et éviter l’enclosure, en particulier celle des plateformes et acteurs à gros capitaux qui ont tendance à « prendre le marché » et l’enfermer).
Un partie des acteurs, que l’on peut appeler « les agents doubles » (sachant que je m’inclue parfois dans ce rôle, c’est aussi une auto-critique !) adopte une stratégie risquée, pas toujours bien claire pour tous : convaincre de l’intérieur ou jouer le rôle d’interface avec l’institution publique ou les politiques. Je grossis volontairement le trait, mais pour cela ils « maquillent » les communs pour les faire briller et d’une certaine manière les vendre.
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Dès le premier budget octroyé, après avoir pris leur marge, ils s’assurent que celui ci ira à des prestataires capables de répondre le plus vite et le plus efficacement au besoin identifié pour toujours convaincre un peu plus les décideurs de ces communs. Ces nouveaux prestataires qu’ils subordonnent plutôt que les contributeurs qui se sont bougés jusque là en dynamique de communauté apprenante, parfois depuis des années, amène ces derniers à se démobiliser ou s’énerver. Quand j’étais au CA, le président de FTL m’annonçait par exemple « si de l’argent arrive sur les communs, on fera appel à des prestataires, on ne pourra pas bosser avec les communautés » . Aïe… en faisant ça, ils oublient que le commun qu’ils maquillent et vendent a été construit à petit pas par des personnes mobilisées dans une dynamique différente de la prestation ou de la subordination, une dynamique dite contributive (voir dessin ci dessous), parfois entièrement bénévole
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Pour ces agents doubles, il leur arrive aussi de dénigrer la ressource ou la communauté du commun pour son côté imparfait, en le soutenant mais sans trop s’y associer, car les communs sont rarement fonctionnels et joli au moment où l’on tente d’en parler et de les diffuser (c’est tout le principe, contrairement aux startups qui investissent puis vendent, les communs vendent parfois l’enjeu d’investir collectivement sur eux!). Au CESE, on entendait ainsi un représentant des tiers-lieux vanter les mérites de Movilab, tout en précisant que c’était la galère pour y trouver l’information, et en levant le poing, signifiant le côté militant du projet, un double message qui a énervé le créateur de Movilab lui-même, puisque décrédibilisant Movilab autant que le soutenant (-1 +1 = 0, c’est comme pour les fabriques de territoire, certaines au top, certaines désastreuses, ça fait un bilan nul ;-)). Les communs ont souvent des modes de production non habituels pour l’institution, comme illustré ci dessus, avec des pratiques de gestion loin des leurs ( par exemple le choix a posteriori, la contribution libre, la transparence des actions, le consentement avec la communauté sur les décisions importantes, la rétribution libre ou corémunération), qu’il faut absolument respecter pour les maintenir. C’est la dynamique même de ces ressources améliorées par leurs usagers, pas spécialement faites pour être vendues sur un marché ou à une institution, mais d’abord pensées pour soi ou sa communauté. Trois exemples dans le libre, Wikipedia, Wordpress ou Ubuntu ont mis des années avant d’être « sexy », enjeu qui est trop souvent la priorité absolue pour ces agents doubles, qui sont par ailleurs rarement des utilisateurs des communs qu’ils voudraient soutenir. Or face aux institutions, la question ne doit par être que celle de l’efficacité du commun, de son bel emballage mais bien celle de la stratégie pour améliorer ensemble cette ressource en ayant une vision moyen ou long terme, et qui prenne soin des contributeurs, notamment là où il y a des difficultés identifiées.
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Enfin, avec un rôle d’agent double, il peut être plus aisé finalement d’être l’interface financière entre le commun et l’institution. Un bon moyen de sécuriser d’abord son revenu avant celui des bénévoles qui étaient là bien avant, et qui ont permis à l’agent double d’avoir ce travail. Or sans communs, sans tiers lieux, sans ces communautés, il n’y a rien à vendre ou maquiller ! L’agent double peut très vite rouler « ni pour l’un, ni pour l’autre, mais pour lui-même » (ce n’est pas de moi cette citation ;-)). On voit ainsi de plus en plus d’institutions jouer le rôle d’agent double pour aller chercher les financements (par exemple auprès de la fondation de france) au nom des communs, mais sans en parler à ces derniers qui verront rarement la couleur des budgets, alors qu’ils auraient pu entrer en contact directement. Oups !
Tout cela amène à ce que, plutôt que coopérer librement, parfois sans aucun revenu depuis des années, les contributeurs quittent le navire, abandonnent… voir mènent un combat contre les nouveaux opérateurs du commun , qui peut aller jusque abîmer la ressource elle même (nous avons eu chaud avec Movilab !).
Dans un moment où, en plus, nos institutions sont portées par des adeptes du libéralisme économique, soit la politique économique opposée à celle des communs, cette stratégie amène beaucoup de compromis pour très peu de résultat. Avec en plus certains qui jouent sur la division entre nous…
Ainsi, sans soin des contributeurs, sans compréhension des dynamiques contributives et de ce qui les fait vivre, notamment le simple fait que les contributeurs sont souvent aussi usagers des ressources auxquelles ils contribuent, c’est voué à l’échec.
Je caricature un peu, mais je pense que l’on a tous vécu un peu de ces situations, parfois en tant que contributeur, en tant qu’institution ou en tant qu’agent double.
Tout cela amène à penser que l’appel a commun doit lui-même être pensé comme un commun, géré par une communauté impliquée et usagère elle même des communs qu’elle produit et bénéficiant de cet appel à communs. Ce qui n’empêchera pas bien sur les institutions et les structures qui jouent le rôle d’interface d y participer, bien au contraire, elles ont un rôle important à jouer.
A ce sujet un schéma imaginé de la gouvernance et du fonctionnement un tel appel a communs , à discuter (voir aussi ci dessous)
Quand à la fabrique à communs des tiers-lieux, je pense qu’il n"est pas trop tard pour qu’elle s’agence en fonction de stratégies d’abord acceptées et validées par les principaux intéressés qu’elle souhaite aider : les contributeurs et usagers des communs ! En repartant d’eux d abord, en visant leur consentement, il y aura peut être une place pour une structure ayant un rôle de pilotage plus assumé et capable de certains compromis visant à réussir le délicat partenariat entre les acteurs des communs et les institutions…
On parlait d’ailleurs à l’époque de créer une « Chambre des communs » pour jouer un rôle serein d’interface entre l’acteur public et l’institution.