Monter un budget contributif dans un réseau de tiers-lieux

Bonjour tout le monde
plusieurs réseaux se lancent dans l’expérience contributive. On peut regrouper ici les questionnements qui se posent sur la mise en oeuvre de ce dispositif. Pour mémoire, les principales infos sont ici : Corémunération au sein d'un projet association (modèle contributif) — Movilab.org

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Hello tout le monde,

Merci pour la création de ce canal.

Voici un premier cas d’espèce pour la Bretagne avec quelques questions que l’on se pose avec @jeremiedavid

En effet nous expérimentons le budget contrib pour nos 6 coordos de GT par ailleurs pro ou gestionnaires de TL.

1/ si vous attribuez ces montants aux structures ou individuellement ? Il me semble que les deux sont pratiquées selon les territoires
2/ est ce que vous accompagnez cela d’une convention avec chaque bénéficiaire ? Ou bien juste sur facture ? Si convention existe t il des modèles partageables ?

En ressources on a bien sûr en tête la page Movilab et le petit manuel: https://victorecrement.xyz/Petit-manuel-du-budget-contributif-f15824ddab354afaa39542dadb187137

Merci Ă  vous !
Arnaud

Hello Arnaud,
On attribue les montants soit aux structures, soit aux individus. Il arrive qu’un individu intervienne pour son compte (en dehors de ses heures de travail bien sûr) sur des sujets précis sur lesquels son expertise personnelle est requise. C’est avant tout une discussion que la personne doit avoir avec « son » tiers-lieu.
On fonctionne avec le système devis/facture quand cela est possible, c’est à dire qu’on est en capacité d’évaluer à l’avance le volume d’heures de contribution. Lorsque c’est impossible, on fonctionne avec un système de relevé des compteurs contributifs (fréquence à déterminer, à la compagnie on fait cela tous les trimestres). Un mail est envoyé à tous les contributeurs pour qu’ils consignent les heures qu’ils ont passé sur les projets et évaluent eux-mêmes le montant qu’ils souhaitent prendre dans le budget. Il est important que chaque contributeur renseigne ce tableau, même s’il ne demande pas de rémunération. Cette info est précieuse au moment du bilan. On fait une réunion physique quand tout le monde a rempli le relevé d’heures. On fonctionne au consentement pendant ce temps d’échanges, l’idée est de corriger certains montants en fonction de ce que les autres déclarent, s’assurer que tout le monde se sente à l’aise dans ce système, avancer sur une culture collective de la rémunération. C’est un moment de responsabilisation collective, c’est très enrichissant. On laisse ensuite qq jours pour affiner le tableau, lever certains blocages éventuels et si personne ne bloque, on peut envoyer les factures.
A++

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Dans le cadre d’une animation d’un cercle territorial soutenu par la Compagnie des TLs, on a proposé aux personnes d’ajouter si elles souhaitaient être contributrices ou non sur des actions, et si elles souhaitaient ou non être rétribuées pour ces actions. Avec un petit jeu de post-it (on marque son nom sur le post si on veut suivre l’action, on ajoute un rond si on veut contribuer, et une croix dans le rond si on veut se rétribuer).
On voyait assez vite quelles fonctions pouvaient être gérées par la contribution bénévole (ou peu rétribuée ou alors déjà payées par les structures) et celles où il allait falloir des moyens. Et celles où l’on a personne et où il faut sans doute aller chercher des prestataires ou embaucher des salariés à missionner sur ces actions. Dans notre cas, l’exercice a été fait avec assez peu de tiers-lieux et contributeurs potentiels, donc ça mériterait d’être approfondi, mais voici le rendu de l’exercice :

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On voit alors que des tâches comme la coordination sont difficilement réalisables bénévolement (si il n’y a pas de revenus possibles liées à ces actions, on le fera sans doute, mais jusqu’a quand ou jusqu’à quel épuisement…)

Dans une communauté assez large, où l’on arrive à mobiliser de nombreuses compétences (ce que savent bien faire les tiers lieux qui font réseau sur leur territoire), on va souvent trouver des personnes directement intéressées par la production de certaines choses et qui y voient un intérêt pour eux, pour leurs lieux ou leur territoire ou pour l’intérêt général. Par exemple, développer le badge inter lieux m’intéresse à titre personnel et sociétal (j’y vois même un intérêt financier, une fois développé, utiliser les lieux devrait me coûter moins cher) et je peux dès lors m’éloigner d’un enjeu de rémunération pour contribuer à son développement (ou alors limiter ma rémunération et ne pas traduire automatiquement le temps passé en taux horaire de rémunération à facturer).
La rétribution à l’heure peut nous amener à nous rapprocher du travail à la tâche, chronométré, qu’on ne demanderait pas à nos propres salariés (sauf ceux utilisant des badgeuses :confused: ). Si indiquer l’heure peut être intéressant, ça doit plutôt être un indicateur pour évaluer sa rétribution, mais pas le seul.
C’est un peu là que se joue toute la finesse de la rétribution et le point de départ de la réflexion sur ce sujet (ne plus séparer « usagers/consommateurs » et « producteurs » quand on est sur des objets que l’on souhaite à la fois utiliser et améliorer, quand on parle de communs ).
D’autres paramètres que le temps peuvent ainsi être pris en compte par la personne, comme ses compétences, la difficulté ou l’exigence de la réalisation, l’intérêt direct que l’on a pour ce que l’on améliore. Et par rapport au temps, il faut sans doute prendre en compte l’ensemble du temps passé (ce que l’on ne fait pas toujours en prestation où l’on ne facture pas tous les temps à côté, de gestion du devis, facture, relation client, etc…). Dans les pratiques, j’ai tendance à indiquer un taux horaire maximum pour la rétribution (pour limiter quand même les abus)… Tout en demandant de ne pas noter ses heures, mais directement sa rétribution, avec une petite note indiquant ce qui a été réalisé, en quelques mots (est ce qu’on demande à un salarié de détailler tout ce qu’il fait, pour chaque heure ?). Et d’essayer de faire ça à la semaine (pour quand même avoir des informations précises, et pas une grosse rétribution sur quelque chose de trop flou pour être compris par le collectif). Chacun à un peu ses pratiques sur ces sujets en exploration.

En petite doc qui peut vous intéresser, un début de travail sur le comment faire l’équilibre entre contributeurs aux communs ou « salariat subordonné/prestation ». Et quand rétribuer la contribution ou pas. Pas évident mais c’est un début de travail sur la question :
https://wiki.resilience-territoire.ademe.fr/wiki/Équilibrer_la_répartition_entre_contributeurs_au_commun_et_salariés-prestataires

En remarque, je trouve assez difficile d’évaluer à priori et estimer par devis sa contribution en amont, même si ça aide beaucoup à rassurer les organisations. Car cela dépend des contributeurs qui vont s’impliquer. Si l’on est capable d’estimer cela avec précision plusieurs mois à l’avance, c’est qu’on est plus trop dans de la contribution ouverte à d’autres (ou alors le devis est plutôt sur la mission que la personne). Maintenant, pour certaines actions où l’on sait qu’on aura du mal à trouver d’autres contributeurs, ça s’entend.
L’un des éléments qui nous a motivé à creuser la question de la rétribution, c’est le comment créer un cadre qui permet de donner le meilleur de soi-même avec d’autres au sein d’objets partagés (les communs, comme Wikipedia), tout en réussissant à en vivre (ce que l’on ne peut pas faire si on contribue à Wikipedia). Et se donner soi-même en retour une rétribution financière grâce à ce qui est produit ensemble a été une des solutions trouvées (une rémunération libre, sorte d’inversion du prix libre). Mais commencer à faire des devis pour ce que l’on va faire individuellement nous éloigne un peu de ça, et l’on se retrouve alors plutôt sur du travail individuel.

Aussi, appliquer des budgets contributifs dans des espaces qui ne produisent pas de communs, qui n’appartiendraient pas aussi aux contributeurs, me paraîtrait assez peu enviable (et pourrait se rapprocher de l’exploitation que peut avoir le salariat subordonné dans des entreprises où le capital est privé.). Oui aux budgets contributifs pour produire du commun qui nous appartient à tous, mais non pour produire du capital privé, ni pour réaliser des missions qui proviennent de commande publiques, et qui ne seraient pas versées dans le commun. Dans ces cas là, l’usage de la prestation ou de salariat subordonné me semble beaucoup plus souhaitable.

Attention aussi aux statuts de vos contributeurs. Faire en sorte qu’ils aient un statut convenable leur permettant de cotiser à la retraite, à la sécurité sociale, au chômage, etc… Et attention à l’auto-exploitation (il faut parfois forcer certaines personnes à se rétribuer :slight_smile: )

Cette culture de la rétribution dans les communs est assez nouvelle et mérite encore pas mal de débat et d’expérience à partager, super donc cet échange pour nourrir ensemble ce sujet et merci Sébastien. On aura aussi à réfléchir à ses limites. On touche à quelque chose qui n’est pas neutre donc essayons d’analyser nos pratiques :wink:

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