Bonjour tout le monde,
Je parle en tant que présidente du Wip, et me base sur notre expérience de Fabrique Numérique de territoire en 2019, pour exprimer ce qui me semble être urgent à prendre en compte dans les politiques publiques Tiers-Lieux.
Pour planter le décor succinctement, les 250 000 euros de Fabrique + fabrique numérique ont été utilisés comme suit sur 3 ans :
1/ Développer l’écosystème Tiers-Lieux (accompagnement porteurs de projets, documentation partagé, co-montage du réseau TILINO, création de coopérations entre les Tiers-Lieux locaux…)
90 000 pour financer le temps de travail de coordination du Wip réalisé par plusieurs salarié.e.s selon les sujets
30 000 pour financer le temps de travail des coordinateurs d’autres Tiers-Lieux sur le territoire avec qui nous avons effectivement monté des projets collectifs sur l’inclusion sociale et numérique notamment.
2/Amorçage du Médialab (documentation des pratiques Tiers-Lieux, expression citoyenne, inclusion numérique, communauté apprenante des utilisateurs, mise en commun du matériel…)
40 000 pour financer le poste d’animateur du médialab sur un an
40 000 pour financer les investissements (formation, matériel, 1eres expérimentations) et charges du médialab
3/ financement de l’infrastructure
50 000 versés à la ville de Colombelles pour de l’investissement en matériel et le loyer de la micro-folie installée au Wip
La mission 1, on la faisait avant, on a continué à la faire après, et clairement fabrique de territoire nous a permis de souffler car ces actions n’étaient pas rémunérées autrement. Hors financement fabrique, ce sont des arbitrages à faire en permanence entre le temps qu’on pouvait consacrer à transmettre, échanger, consolider en réseau, avec des porteurs de projet, et le temps à consacrer à des missions rémunératrices pour notre modèle économique. Et ces arbitrages épuisent, créent de la tension parce qu’en réalité, on n’arrive pas à s’empêcher de participer au développement de l’écosystème Tiers-lieux, qu’il s’agisse d’accompagner les porteurs de projets, de faire de la pédagogie auprès des élus, d’animer la communauté apprenante qui y évolue. C’est la base du Tiers-Lieu, c’est son quotidien, c’est un pilier de son fonctionnement, mais cette animation, cette coordination n’est pas valorisée, reconnue et soutenue financièrement dans le temps, alors que c’est cela qui permet le pouvoir d’agir sur nos territoires. Et chez nous, les collectivités territoriales n’ont pas du tout pris le relais.
La mission 2, elle n’aurait pas pu se déployer aussi vite et de façon aussi efficiente sans fabrique numérique. Aujourd’hui le médialab a trouvé sa communauté, son fonctionnement, son modèle économique, produit des ressources pour tous : un vrai financement d’amorçage. Donc l’AAP pour soutenir l’amorçage d’activités c’est super. Mais ça n’était possible que parce que le reste de l’infrastructure, les fonctions supports, les charges du bâtiment etc. étaient supportées par d’autres ressources (en l’occurrence la location d’espace et l’organisation évènementielle chez nous). On en revient toujours à cette dissociation entre soutenir le déploiement d’un projet et le fait qu’il ne peut se faire que parce qu’il y a toute l’infrastructure derrière, et que selon les lieux, elle est plus ou moins coûteuse, mais qu’il est difficile d’en faire porter une partie sur le financement des projets.
La mission 3 a sûrement facilité l’installation de la micro-folie au Wip, c’était une aide temporaire qui a permis de démontrer l’utilité d’installer la micro-folie dans un Tiers-Lieu, géré par un tiers autre que la collectivité, parce que le mélange des genres fait bon ménage. Mais aujourd’hui les charges sont pleines et la collectivité doit faire des arbitrages.
Je raconte tout çà, parce que malgré ces financements importants, le Wip s’arrête en juillet 23. Et les raisons de notre fermeture (dette générée auprès de la collectivité bailleur pendant la COVID, charges structurelles du bâtiment trop fortes, désintérêt tout à fait assumé de la collectivité pour les expérimentations et innovations permises par le processus Tiers-lieux) m’amènent à formuler ces besoins vis-à-vis de la politique publique pour les Tiers-Lieux.
Les projets dans les Tiers-Lieux peuvent aussi se financer par d’autres ministères, services, thématiques, avec la très grande plus-value qu’apportent les Tiers-Lieux en hybridant et en décloisonnant les pratiques, les publics… Pour moi, une politique publique qui cible spécifiquement les Tiers-Lieux peut certes aider à l’amorçage de projet, mais doit surtout se concentrer sur les points suivants:
il faut sécuriser les fonctions d’expérimentateur, de fédérateur, de capaciteur d’imprévu (c’est moche mais je n’ai pas trouvé mieux), de créateur d’échanges, de débats et de mise en action, que mettent en oeuvre les Tiers-Lieux sur leur territoire.
Est-ce que ça veut dire un “revenu universel” pour tous les Tiers-Lieux? est-ce qu’il faut mettre des critères? est-ce que c’est l’Etat systématiquement? Est-ce que c’est pour la vie du Tiers-Lieu? est-ce que c’est une condition première à fixer à tout engagement des uns et des autres? Il faut a minima que la politique publique joue le rôle de levier pour faciliter l’implication des collectivités territoriales.
il faut faire évoluer les normes, RAPIDEMENT, pour qu’un certain nombre de contraintes qui pèsent sur les Tiers-lieux, en lien avec le bâtiment, les taxes etc. soient moins lourdes et faciliter l’accès au foncier et au bâti des collectifs citoyens porteurs de Tiers-lieux. Une politique publique des Tiers-Lieux doit financer la recherche-action sur ces sujets pour favoriser les changements de normes. Est-ce que ca veut dire financer des tiers-lieux et des expérimentations pilotes qui produisent du commun au service de l’ensemble des Tiers-Lieux? Est-ce que ça veut dire financer des expertises avant tout? C’est notamment là que l’ANTL doit pouvoir porter les besoins structurants et transversaux des Tiers-Lieux pour inciter la politique publique à se concentrer sur ces sujets et pour suivre et relancer face aux urgences que nous traversons en réalité depuis déjà des années.
Ca veut dire aussi qu’une politique publique des Tiers-Lieux doit s’inspirer et doit refléter l’esprit de ceux qu’elle vient soutenir en étant capable de réinventer sa façon de se construire (d’autres ici ont déjà parlé d’éviter le phénomène de mise en concurrence, l’appel à communs plutôt qu’à projet, il y aussi l’enjeu de l’évaluation, la part laissée à l’improgrammé…), puisque les Tiers-Lieux participent à la transformation de l’action publique en remettant les usagers, citoyens au coeur des débats, de l’action pour construire nos territoires résilients et joyeux.
C’était long non??? Mais c’est chouette qu’avec l’organisation de ce débat (et d’autres à suivre!), on puisse déployer nos arguments, nos points de vue, les confronter, avec la petite vigilance du risque de déceptivité entre le ‘Ya Ka Fo Kon’, le temps de construire des propositions consolidées, et la capacité de l’Etat à les prendre effectivement en compte avec toutes ses propres méandres et injonctions contradictoires. Mais on avance. A vos claviers!