Retour sur la journée de lancement du Conseil National des Tiers-Lieux
Nous avons été invités, lundi 17 juin dernier, à participer en compagnie d’un certain nombre d’acteurs de l’écosystème, à la première réunion du Conseil national des tiers-lieux, faisant suite aux recommandations du Rapport de la Mission Coworking : Territoires, Travail, Numérique1. L’initiative de cette réunion revient aux auteurs du rapport appuyés par le CGET et la Mission Société Numérique2, parties constituantes de la future Agence Nationale de Cohésion des Territoires3. La journée, dont nous allons présenter un compte-rendu succinct, avait pour objectif de marquer la reconnaissance, par les pouvoirs publics, des diverses attentes à leur égard d’un grand nombre d’acteurs et de structures (plus de 1800 Tiers-Lieux recensés par la Mission). De fait, plusieurs ministres et hauts fonctionnaires étaient présents pour témoigner de cet intérêt.
La matinée a été structurée en 4 temps
- dans un premier temps, M. Patrick Levy-Waitz, président de la fondation Travailler Autrement et maître d’œuvre du rapport Mission Coworking, a présenté les principes du CNTL et a répondu aux questions de l’assemblée ;
- dans un second temps, les participants se sont distribués en 3 groupes de travail pour aborder 3 thématiques importantes (la professionnalisation de la filière, les « communs » des tiers-lieux et la gouvernance du CNTL),
- dans un 3e temps, nous avons reçu la visite de Mme Muriel Pénicaud, Ministre du travail, et de M. Jean-Marie Marx, Haut-commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi, qui nous ont exposé leurs représentations et recommandations sur les questions qui nous intéressent et ont répondu aux questions de l’assemblée,
- enfin, M. François Taddéï, cofondateur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), a pris la parole pour une courte conférence sur le CNTL comme le « Tiers-lieu des Tiers-Lieux ».
Rencontre avec Muriel Pénicaud et Jean-Marie Marx
L’après-midi, la « conférence des Tiers-lieux » a été structurée en 3 temps
Animés par MM Régis de Closets, journaliste, Stéphane Vatinel, directeur de Ooko, et Gilles Mergy, Directeur général de Régions de France
- Dans un 1e temps, Mme Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des territoires, M. Julien Denormandie, Ministre auprès de la Ministre de la Cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, M. Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique et M. Patrick Levy-Waitz ont abordé les tiers-lieux sous l’angle de leur action en faveur de la cohésion des territoires
- Dans un second temps a été abordée, en présence de MM François Taddéï, David Lacombled, président de La Station, et de Mme Annick Jehanne, cofondatrice de Plateau Fertile la question des tiers-lieux comme nouveaux lieux de travail et d’entreprenariat
- Enfin, les tiers-lieux ont été définis comme nouveaux lieux de savoir et d’émancipation, en présence de Mme Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur, de MM Franck Riester, Ministre de la Culture, Bernard Latarjet, Président de l’ONDA, James Chéron, Maire de Montereau-Fault-Yonne et de Mme Céline Berthoumieux, directrice du Zinc arts et cultures.
La journée s’est achevée par les propos conclusifs de MM Patrick Levy-Waitz et Serge Morvan, Commissaire général à l’égalité des territoires.
Groupes de travail thématiques en matinée
Pour un compte-rendu détaillé, nous invitons les lecteurs à se rapporter à l’excellente documentation collective réalisée par les membres du CNTL, particulièrement attentifs à garantir la transparence de ces travaux pour l’ensemble de l’écosystème et des citoyens accessible sur : https://pad.lamyne.org/conseil-tiers-lieux-18062019#. Nous allons simplement rappeler les grandes lignes de la journée, après quoi nous exposerons quelques remarques, commentaires et interrogations.
Une bonne partie de la matinée a été consacrée à la définition de ce que pourrait et devrait être le CNTL. D’emblée, distinguons deux structures : le CNTL à proprement parler, qui doit jouer le rôle d’une sorte de « Parlement des Tiers-lieux », et l’Association de préfiguration d’une structure nationale d’appui aux tiers-lieux. Celle-ci devra être une structure opérationnelle porteuse d’une offre de services et d’actions en faveur des tiers-lieux. Il est prévu en effet que d’ici 18 à 24 mois, cette association de préfiguration donne naissance à une coopérative d’intérêt collectif.
Les fonctions de cette instance sont les suivantes
- L’organisation et l’animation des réunions du CNTL
- Le transfert d’expériences entre tiers-lieux
- La mutualisation de ressources et le développement d’outils communs ouverts facilitant l’essaimage et la valorisation de l’innovation
- La professionnalisation de la filière et sa régulation
- La communication et le plaidoyer en faveur des acteurs et initiatives de la filière
- La mobilisation de divers partenaires (publics comme privés) pour le développement des tiers-lieux.
Elles doivent permettre de faciliter et d’accompagner le développement des actions des tiers-lieux pour améliorer leur impact et leurs contributions à un certain nombre d’objectifs de politique publiques et/ou d’intérêt général :
- Appuyer la transition numérique via des services de médiation numérique
- Garantir l’universalité d’accès aux services publics dans tous les territoires
- Développer de nouvelles formes de travail et de coopération
- Garantir l’accès universel à la culture
- Garantir l’accès universel à l’enseignement supérieur
- Renforcer les dispositifs éducatifs du secondaire
Le mode de fonctionnement détaillé et la feuille de route précise de cette instance restent à déterminer. Restent aussi à déterminer les relations exactes entre le CNTL et la SCIC et la place, les responsabilités et les prérogatives des différents acteurs de l’écosystème en leur sein.
Au-delà de ces aspects, les organisateurs de la réunion ont annoncé la mobilisation d’un fonds de 45 millions d’euros sur 3 ans, distribués sur la base d’un Appel à manifestation d’intérêt visant à faciliter la création et le développement de 300 tiers-lieux « structurants », nouveaux ou déjà existants, parmi lesquels 150 devront être nécessairement implantés dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le CNTL est indiqué comme devant travailler de concert avec les acteurs publics pour garantir la pertinence et l’équité de ces financements.
L’après midi rythmée par les interventions successives de 6 ministres du gouvernement
A l’issue de cette journée intense, plusieurs remarques, sentiments et questions émergent
En tout premier lieu, nous ne pouvons que nous réjouir du fait que le gouvernement, par son geste, marque son intérêt pour nos mouvements émergents. La présence d’un nombre conséquent de personnalités importantes de nos représentants est un signe appréciable, et nous témoignons toute notre reconnaissance au travail patient, rigoureux et avisé de médiation et de médiatisation de l’ensemble des auteurs du Rapport Coworking, et saluons leur réussite.
Nous nous réjouissons également de la manière dont a été présenté le CNTL et des rôles qui lui sont dévolus : l’existence d’une telle structure constitue un signal fort de la volonté des pouvoirs publics d’aborder les questions d’intérêt pour nos structures selon un modèle original, ne reposant ni simplement sur les mécanismes du marché, ni seulement sur la supervision publique , mais cherchant à impliquer l’ensemble des acteurs dans une démarche de concertation et de co-construction.
Au sein de RFFLabs, nous ne pouvons nous empêcher de souligner que les missions du CNTL ressemblent à plusieurs égards aux missions que nous avons souhaité confier à notre structure et nous sommes heureux de pouvoir faire bénéficier l’ensemble de l’écosystème des acquis de notre expérience de terrain. Nous nous réjouissons également de pouvoir bénéficier, à notre tour, de l’expérience de réseaux régionaux bien structurés d’acteurs de terrain ainsi que d’un travail de documentation mené depuis des années par le collectif Tilios, représenté au sein du CNTL.
Ces motifs de satisfaction et d’enthousiasme énoncés, nous nous devons de nous faire porteurs également de quelques interrogations qui n’ont pas manqué de surgir suite à ces annonces.
En premier lieu, nous attirons l’attention de tous les participants, acteurs de terrain et institutionnels, sur les difficultés d’organiser sereinement le travail du CNTL dans toutes ses dimensions en garantissant à la fois l’opérationnalité et la légitimité de ses résultats, dans le temps très court qui nous est imparti (les appels à manifestation d’intérêt devraient sortir dès cet été et la structure de gouvernance de la SCIC devrait être définie d’ici 18 mois).
Plusieurs obstacles nous semblent devoir être dépassés : l’hétérogénéité des acteurs présents, de leurs conditions d’exercice et de leur légitimité peut poser problème. Le premier risque, le plus classique, est matériel : les structures les mieux dotées, les acteurs les plus disponibles, seront les plus à même de s’investir dans les travaux « constitutionnels » et d’administration, et cette situation peut être source d’oublis ou d’angles morts dans la prise en compte des réalités couvertes par les missions du Conseil.
De notre côté, nous allons communiquer auprès de nos communautés, en les appelant à se structurer au niveau territorial et à faire remonter des revendications claires et communes, de manière à pallier à ce risque, mais il est important aussi que les structures de tutelle témoignent de leur compréhension de ce risque en donnant aux acteurs les moins bien dotés les moyens de participer à ces travaux. La charge de travail imposée par cette opportunité encourageante présente en effet dans de nombreuses situations des risques de surmenage, dans la mesure où de nombreux espaces et structures, RFFLabs au premier chef, fonctionnent essentiellement sur la base du bénévolat de leurs membres dont les compétences sont employées par ailleurs.
Le second risque est un risque de légitimité . De nombreux acteurs de nos communautés craignent que cette structure ne soit une manière pour les acteurs publics de « récupérer » la plus-value sociale et matérielle générée par nos mouvements. Même si nous sommes convaincus de la bonne volonté de nos partenaires institutionnels et de leur absence d’arrière-pensées utilitaristes, nous comprenons ces craintes et les estimons légitimes, dans la mesure où elles sont fondées sur des mauvaises expériences antérieures bien réelles.
Intervention de François Taddéï en fin de matinée – « Le CNTL doit être le Tiers-Lieu des Tiers-Lieux »
Pour pallier à cette difficulté, nous souhaitons nous appuyer bien entendu sur les efforts de structuration de nos communautés susmentionnés, mais également sur des garanties concrètes de nos partenaires institutionnels. Ces garanties pourraient faire l’objet d’une Charte précisant les statuts du CNTL, les règles de sélection des membres, les droits et obligations des différents partenaires. Nous souhaitons engager une réflexion collective de tous les participants sur cette question, et nous invitons tous nos partenaires à aborder cette question au plus vite.
En tout état de cause, nous voulons aussi rappeler à nos adhérents en premier lieu, et plus généralement à tous les acteurs intéressés par cette question, un élément matériel central. Le montant des fonds alloués est de 45 millions d’euros pour 300 lieux, ce qui représente, sans compter les frais de gestion, 150 000€ en moyenne par lieu sur trois ans. 300 lieux, c’est peu, au regard des 1800 tiers-lieux identifiés sur le territoire , et les sommes prévues ne peuvent que constituer un complément à d’autres sources de financement. Il est donc possible que ces limites donnent naissance à de nombreuses frustrations et déceptions.
Mais l’important dans cette annonce n’est pas, pour ce qui nous concerne, le montant. Nous avons tous conscience que les tiers-lieux ne sont ni ne souhaitent être des équipements publics ou des services publics classiques . Nous devons poursuivre ensemble l’élaboration de modèles économiques et de gouvernance adaptés aux situations locales et en même temps coordonnés à l’échelle nationale. Dans cette perspective, le financement public est un signal fort qui constitue une garantie de sérieux et une incitation pour d’autres financeurs potentiels. Il nous apparait donc indispensable de nous appuyer sur ce signal pour développer différentes sources de revenus garantissant notre stabilité et notre indépendance.
L’engagement du gouvernement dans une démarche de cogestion de la question des tiers-lieux est une opportunité. Et nous avons tous, acteurs publics et porteurs de projets tiers-lieux un intérêt commun : que la répartition des ressources, des charges et des bénéfices dans notre écosystème se fasse de la manière la plus raisonnable et concertée possible. Comme nous le rappelons depuis la fondation de RFFLabs, les Fablabs, et a fortiori les tiers-lieux, ne sont ni des entreprises, ni des services publics et ne doivent pas être traités comme tels . C’est pourquoi il nous parait important que les principes de décision et de répartition des financements fassent l’objet d’une concertation transparente engageant un maximum d’acteurs représentatifs. D’ailleurs, de nombreuses expérimentations ont été menées ces dernières années sur le terrain sur des manières d’organiser des concertations et des décisions collectives à une relativement grande échelle, nous avons donc bon espoir que cette exigence soit correctement adressée.
Par ailleurs, s’il importe de bien évaluer et valoriser les apports des tiers-lieux à la qualité de notre vivre-ensemble (en facilitant l’autonomisation, l’inclusion, la formation tout au long de la vie, la contribution des citoyens à la culture et à la réinvention des services publics, en participant au processus de réappropriation de l’innovation), il importe aussi de veiller à ne pas les mettre en concurrence, mais à favoriser leur mise en réseau , pour trouver le juste et équitable équilibre entre espaces, initiatives et territoires. C’est d’ailleurs l’objectif affiché de l’association nationale. Celle-ci devra s’appuyer sur les réseaux existants en respectant le principe de subsidiarité, pour garantir la diversité et la coexistence des différents réseaux de lieux et d’acteurs.
Il nous paraît dès lors capital de tous faire l’effort de structuration de nos réseaux pour agir « en commun » et de manière transparente en relation avec les acteurs institutionnels, pour démontrer notre fiabilité et leur permettre d’ agir « par les communs » pour renforcer la cohésion des territoires et la bonne santé de notre société.
Cosigné par :
Pour le Conseil Scientifique du RFFlabs : Mateï Gheorghiu
Pour le Conseil d’administration du RFFLabs : Simon Laurent